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La Societé Historique du Pays de Salers (SHPS)

Les Hospitaliers V

27 Avril 2012, 11:12am

Publié par Stéphane VEYRET

 

Les sièges de Rhodes:

 

Cependant les îles du Dodécanèse, reconquises entre 1307 et 1311, autrefois sous suzeraineté byzantine, constituent une ligne de front face à l’extension de l’empire ottoman. La présence des hospitaliers au large de l’Asie Mineure constitue une menace pour le sultan turc. Plusieurs sièges sont menés en 1426, 1440, 1444, puis en 1480. Après la chute de Constantinople, le grand maître Jean de Lastic (1437-1454) refuse de payer tribu, laissant présager le choc à venir. Commence alors un siège de grande envergure, dont la défense fut soigneusement préparée par Pierre d’Aubusson (1476-1503). Ce siège débuté en avril, se poursuit durant quatre mois, lorsqu’une flotte hispano-napolitaine arrive au secours de la place et pousse au repli l’armée turque qui y laisse près d’un tiers de son armée.

Selim Ier projette une nouvelle expédition mais décède en 1520; l’idée est alors reprise par son fils Süleymân Kânûnî (législateur) - Soliman le Magnifique - qui met en œuvre une flotte composée de plusieurs centaines de navires et une armée de plus de cent mille hommes, avec près de trois cent canons, commandée par Mustapha Pacha, beau-frère du sultan. La flotte apparait au large de Rhodes le 26 juin 1522, établissant un long siège de la ville qui s’étend alors sur terre et sur mer. Durant les treize premiers jours l’armée ennemi monta ses campements et prépara le siège. Selon le rapport d’espions, cette inaction prolongée s'expliquait par l'attente d'un second corps de cent mille hommes qu'amenait le sultan en personne à travers l'Anatolie. Des vaisseaux étaient réunis à Marmaritza pour les porter à Rhodes. Les Turcs firent dans ce siège des travaux considérables, pour un succès chèrement acquis où le sultan sacrifia largement la vie de ses soldats.

 

La résistance est organisée par le grand maître Philippe de Villiers de l'Isle-Adam, un stratège et un diplomate reconnu, qui sait ne pouvoir compter sur l’Europe, alors en guerre.  Il fait appel à Gabriel Tadini di Martinengo, expert en fortification et contre-sape. Il renforce la cité en artillerie, vivre et munitions. Malgré les appels du pape Adrien VI, il ne peut que compter sur les renforts hospitaliers des îles du Dodécanèse (650 chevaliers) ainsi que sur le soutien de 200 Génois, 50 Vénitiens, 400 Crétois, et 6000 Rhodiens. Le siège s’enlisa durant six mois, causant de lourdes pertes dans les rangs turcs (journée du 24 septembre), obligeant Soliman à destituer son beau-frère Mustapha Pacha, alors nommé à la tête de l’armée.

 

« Le 24 septembre, les assaillants se présentent sur tous les points à la fois, et parviennent à se loger dans le bastion d'Espagne, où l'aga des janissaires plante l'étendard de cette troupe d'élite. Le combat fut long et sanglant. Les remparts de Rhodes formaient un cercle de feu au milieu duquel les détonations de la canonnade se mêlaient au cliquetis des armes et au pétillement des coups d'arquebuse; mais dans les suprêmes moments, les suprêmes efforts, et, malgré leur bravoure acharnée, les Turcs, forcés de plier, durent abandonner le terrain un instant conquis par eux, en laissant aux mains des chevaliers plusieurs drapeaux. Ils perdirent dans cette seule journée, si l'on en croit les rapports du temps, jusqu'à quinze mille hommes. »

« La situation des chevaliers était donc fort critique; mais combien ne dut-elle pas leur sembler désespérée quand ils vinrent à reconnaître que la poudre manquait ! Le chevalier d'Amaral voyait déjà poindre, avec une joie secrète, les conséquences de sa perfidie. Néanmoins le courage ne faillit point. On ménagea les coups, et ils furent plus sûrs. On fabriqua à la hâte de la poudre. Le grand maître mit quatorze de ses propres chevaux à faire mouvoir les moulins qui pulvérisaient le nitre et le charbon, sous la direction et la surveillance du chevalier de Parisot… Du côté des assiégés, tout le monde combattait, jusqu'aux prêtres et aux femmes. Les uns portaient de la terre pour réparer les brèches, des pierres pour lancer sur les infidèles; les autres apportaient du pain, du vin, et ranimaient les défaillants… Jamais Rhodes ne s'était vu dans un si grand péril, jamais l'ordre de Saint-Jean n'avait été attaqué par tant d'ennemis à la fois ; jamais non plus il ne montra autant d'héroïsme. »

« L’Ile-Adam assembla le chapitre pour délibérer sur ce que l'honneur et le devoir pourraient inspirer encore de dévouement, ou permettre de sacrifices à la conservation des habitants… Le grand maître, qui ne voulait pour lui-même d'autre linceul que sa cotte d'armes, et pour tombeau que la brèche, se laissa insensiblement gagner à la pitié pour la population qui l'entourait… Il fut donc résolu, dans cette assemblée suprême, qu'on prêterait l'oreille aux ouvertures du sultan. Des pourparlers eurent lieu en effet. De nombreux messages furent échangés, pendant lesquels les échos étonnés ne retentissaient plus des détonations de l'artillerie… L'empereur, touché de la résignation pleine de dignité qui se peignait sur les traits du grand maître, exprima ses regrets d’obliger un vieillard à quitter sa demeure. Dans cette disposition d'esprit, il se montra plus conciliant; et, débattant avec douceur les clauses de la capitulation à laquelle se soumettait le grand maître, il ne se refusa pas à ce qu'elle fût aussi honorable que possible, en la rendant moins dure pour l'ordre de Saint-Jean… Le sultan promettait, en outre, que les églises ne seraient pas profanées, et que l'exercice du culte chrétien y serait toléré. Cette capitulation fut signée le 24 décembre 1522. »

(Extraits de l’histoire des chevaliers de Rhodes par Eugène Flandrin, 1873).

 

Le 14 novembre, la tour d’Espagne s’effondre et les bastions d’Angleterre, de Provence, d’Italie et d’Aragon menacent ruine. Trahisons, famine, manque de munitions, garnison affaiblie, épidémies qui ravagent les troupes turques, et la trahison finale du grand chancelier de l’Ordre, André d’Amaral, grand prieur de la langue de Castille, entrainent des négociations dès le 10 décembre, aboutissant à un accord signé le 24 décembre 1522. Admiratif, Soliman permet aux hospitaliers de quitter l’île avec les honneurs militaires. C’est ainsi que le Ier janvier 1523, 160 chevaliers hospitaliers survivants embarquent avec tous leurs biens et près de 4.000 chrétiens,  emportant dans trente navires leur trésor, leurs archives et leurs reliques.

 

 « Villiers de l'Ile-Adam avait fait embarquer, au pied de la tour Saint-Michel, ses compagnons d'infortune avec ce qu'ils pouvaient emporter de Rhodes, où ils laissaient les souvenirs sanglants de leur dévouement, ainsi que la trace impérissable de leur gloire. Quelques galères peintes de noir, en signe de deuil, les reçurent; et ils levèrent l'ancre sans qu'aucun étendard y fût déployé comme aux jours de leurs courses victorieuses. Une seule bannière flottait à mi-mât du navire que montait le grand maître : c'était celle de Notre-Dame, avec ces mots : Afflictis spes mea rebus : « Dans mon malheur tu es mon espoir. » Le départ eut lieu de nuit, afin que l'obscurité leur épargnât la douleur de distinguer ces tours et ces murs pour la conservation desquels ils avaient versé leur meilleur sang. »

(Extraits de l’histoire des chevaliers de Rhodes par Eugène Flandrin, 1873). 

 

Finalement, Seule la Crête reste aux mains des vénitiens, liés par des traités commerciaux avec l'Empire ottoman. Mais la république de Venise, ambitieuse et jalouse, aspirant à l'empire maritime, ne voyait pas sans déplaisir l’anéantissement de la marine redoutée de l’Ordre de Saint-Jean. Toutefois, la chute de Rhodes compromettait infailliblement les possessions vénitiennes dans la Méditerranée. Rhodes demeurera dans les mains des Ottomans jusqu’en 1912.

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