Histoire du peuplement du massif cantalien
L'histoire du peuplement du massif cantalien est encore pleine d'incertitudes et de mystères, dans une région où les travaux archéologiques sont encore relativement peu développés, en dehors de quelques secteurs précis.
Les plus vieilles traces de la présence humaine dans le secteur des monts du Cantal datent de la fin du tardiglaciaire, c'est-à-dire à la fin de l'époque magdalénienne, il y a environ 15.000 ans (Surmely, 1998). Cette colonisation des hauteurs s'explique avant tout par la disparition des glaciers, le radoucissement du climat et les changements environnementaux qui ont rendu la montagne attractive pour l'homme. C'est aussi à cette même période que se sont peuplées les Alpes et les Pyrénées. Des gisements magdaléniens ont été découverts dans des abris-sous-roche, notamment aux lieux-dits Cors (Saint-Chamant), La Tourille (Celles), Le Cavalier (Molompize), La Bade (Collandres), à des altitudes variant entre 700 et 1200 m.
Il s'agissait de petits campements fréquentés de façon brève par de petits groupes humains très mobiles, dans le cadre de circuits plus vastes. La mauvaise conservation des restes organiques ne permet pas de connaître en détail les stratégies d'acquisition des ressources alimentaires. Les produits animaux issus de la chasse occupaient très certainement la première place, mais la pêche et surtout la cueillette, dont l'importance est trop souvent mésestimée, devaient jouer un rôle non négligeable. La moyenne montagne cantalienne, du fait de la très grande diversité géologique et topographique, offre en effet une très grande variété de ressources potentielles. La gestion programmée de l'approvisionnement en silex, mise en évidence à partir de l'étude des industries lithiques, montre sans conteste que les expéditions devaient être soigneusement préparées et organisées. L'image de bandes errantes et affamées, menant une vie hasardeuse, est à abandonner complètement, au profit de celle de populations sachant profiter au maximum des potentialités offertes par le milieu naturel et s'adaptant aux contraintes. Il est probable que la fréquentation de la moyenne montagne cantalienne se faisait dans un cadre saisonnier, avec une alternance de séjours en plaine et en montagne. Les hommes ont abondamment utilisé les silex des séries calcaires tertiaires du versant occidental (bassin d'Aurillac/Mur-de-Barrez) et du bassin du Malzieu. Les chailles jurassiques du bassin de Saint-Flour, peu propices à la taille en raison de leur petit module et de leur grain assez grossier, n'ont été utilisées que de façon marginale. Les occupants de l'abri de la Bade (Collandres) ont eu largement recours à la diatomite recristallisée, de couleur orangée et dont la provenance est locale. Les populations magdaléniennes du versant oriental ont également utilisé un excellent silex gris translucide, dont l'origine est à chercher dans les formations marines du crétacé supérieur du Berry. Ce matériau se retrouve dans tous les gisements préhistoriques du Val d'Allier, à partir du Gravettien. Les modes d'acquisition de ce silex restent à déterminer : acheminement direct au cours de grandes migrations, ou bien échanges entre populations voisines.
La densification progressive du couvert végétal du début de l'holocène a accru encore la quantité et la variété des ressources potentielles de la moyenne montagne. Les hommes ont multiplié leurs incursions sporadiques, mais leurs territoires de parcours semblent s'être restreints (Surmely, 1998). L'important gisement mésolithique des Baraquettes (Velzic) révèle une fréquentation régulière du site au cours des phases anciennes et moyennes du mésolithique, entre 9000 et 7000 ans avant notre ère, avec une importante activité de chasse (sanglier, cerf, chamois, ours...) et de traitement des produits animaux. D'autres gisements de cette époque sont connus à Ventecul (Raulhac), ainsi qu'au Cuze (Sainte-Anastasie).
L'apparition de l'économie agricole, qui a accompagné le néolithique, n'a pas remis pas en cause l'attractivité du massif cantalien. Au contraire, les sites se sont multipliés, comme le montrent les découvertes effectuées notamment sur la planèze de Saint-Flour, autour de la vallée de la Jordanne et dans le secteur de Massiac. Les premiers paysans se sont installés sur les hauts plateaux, jusqu'à 1100 mètres, pour profiter des sols volcaniques des planèzes, à la fois légers et très fertiles. C'est le cas notamment de la planèze de Saint-Flour, qui était réputée jusqu'au siècle dernier pour être "le grenier à blé de la Haute-Auvergne". Cette hypothèse est corroborée par la découverte de pollens de céréales et de plantes rudérales dans les tourbières. Les nombreuses haches polies découvertes dans le Cantal (façonnées dans le silex, la fibrolithe ou le basalte) servaient à défricher les terres. Si les habitats étaient le plus souvent établis en plein air, les grottes et abris continuaient d'être fréquentés régulièrement. Le mouvement de sédentarisation des populations a progressé fortement, mais ces dernières restent encore très mobiles.
Le néolithique ancien est encore mal connu, avec quelques indices dans la vallée de la Jordanne. Le néolithique moyen a vu la création de grands habitats établis sur des sites perchés, probablement fortifiés, tels celui de Chastel-sur-Murat. La sédentarisation et l'appropriation des terroirs ont été marquée surtout par la construction de monuments mégalithiques (menhirs, et surtout dolmens) au néolithique final. Ils sont particulièrement nombreux sur la planèze de Saint-Flour. Les constructeurs ont soigneusement choisi les lieux d'implantation, au prix de déplacements de blocs de plusieurs tonnes sur plusieurs kilomètres (Surmely et alii, 1996). Les critères d'implantation semblent avoir été la recherche d'une position dominante, aux limites de plusieurs biozones. Il paraît donc plausible d'attribuer à ces monuments spectaculaires la fonction de marqueurs de territoire.
Des découvertes d'objets néolithiques isolés (notamment des pointes de flèches) sur les sommets du Cantal témoignent vraisemblablement d'expéditions de chasse en montagne. A Mur-de-Barrez (Aveyron), des mines de silex ont été exploitées, au moyen des galeries souterraines.
Avec les défrichements et la mise en culture, l'homme a imprimé désormais sa marque sur le milieu naturel. Mais ces transformations sont restées encore limitées.
Les changements se sont accentués nettement avec les âges des métaux, à la fin du troisième millénaire avant notre ère. Les progrès techniques (notamment liés à la métallurgie) ont permis une augmentation des productions agricoles et de la population, avec en parallèle une hiérarchisation et une structuration de la société. Faute de fouilles récentes, nous connaissons encore mal les modalités de peuplement durant cette époque, qui semble voir la naissance de distinctions entre villages et centres politiques fortifiés. L'ouverture de mines est prouvée pour l'époque gauloise (Labessette).
Par contre, le massif du Cantal recèle un nombre exceptionnellement élevé de tombes individuelles sous tumulus (Vinatié, 1995). Elles sont particulièrement nombreuses sur les hauts plateaux des communes de Mons, Laurie, Vernols, Allanche, Saint-Bonnet-de-Salers... Ces structures funéraires, souvent groupées en nécropoles, se présentent sous la forme de tertres de pierres, soigneusement construits, qui protègent le plus souvent un coffre funéraire recélant un corps incinéré. Les tumulus devaient être réservés à une élite de petits chefs. Certains ont livré un riche mobilier funéraire, souvent métallique (armes, objets de parure en bronze et en or). Les tertres ont des dimensions variables, depuis d'imposants monuments jusqu'à de discrètes tombelles. On serait tenté d'attribuer ces variations morphologiques à des différences de statut social des défunts. Les tumulus semblent particulièrement nombreux sur les axes naturels de circulation, ou au voisinage des cols, ce qui renvoie là encore à l'idée de marqueurs de territoire.
Cette organisation du peuplement s'accroît encore à l'époque gallo-romaine. L'économie agro-pastorale est structurée par la création de grands domaines (villae), qui sont nombreux sur les contreforts du massif, notamment dans le secteur d'Allanche-Massiac (Vinatié, 1995). L'aménagement de voies permet des échanges commerciaux plus importants, ainsi que la naissance de petites villes-marchés (Riom-ès-Montagnes, Arpajon-sur-Cère) et de centres thermaux et religieux (Coren-les-Eaux, Vic-sur-Cère, Ydes, Veyrines de Landeyrat).
A la fin de l'Antiquité, l'habitat paraît se resserrer dans un premier temps près de grands centres fortifiés (Chastel-Marlhac, Saint-Victor de Massiac, Escorailles...), avant de se s'étendre largement à partir de l'époque carolingienne. Cet essor économique et démographique s'accompagne d'un élan de construction d'églises (église de Lascelles) et de châteaux (Apchon, tour de Marzes), qui forment les cadres politiques.
Cette croissance, liée à l'optimum climatique de l'an mil, explique la multiplication de villages permanents au cœur de la moyenne montagne, à 1100, voire 1200 m d'altitude. Les plus grands, comme celui d'Espinasse à Collandres ou de Cotteuges à Trizac, comprenaient plusieurs moulins, des canaux d'irrigation (Simon-Coste, 1988)... Ces villages seront abandonnés quelques siècles plus tard, sous les effets conjugués de la crise démographique et de la dégradation climatique. Ces nombreux "villages désertés" qui jalonnent les hauts plateaux ne sont pas à confondre avec les vestiges des anciens burons, qui dès la reprise économique de l'époque moderne, marquent la naissance d'un nouveau type d'exploitation des hautes terres, autour de l'élevage extensif et capitalistique sur les "montagnes". Les maîtres de la terre se plaisent à résider dans de somptueux châteaux, qui sont souvent d'anciennes forteresses médiévales remises au goût du jour (château de Saint-Chamant).
Source : Frédéric Surmely
Docteur en préhistoire, agrégé d'histoire, conservateur du Patrimoine.